En mission aux Philippines
Rien ne prédestinait Sr Liane Rainville à une carrière de missionnaire chez les Filles de la Sagesse du Canada (FDLS). Elle a pourtant vécu 34 ans aux Philippines pour « faire son possible » auprès de la population locale et apporter son aide aux femmes détenues pendant 32 ans.
« J’avais déjà une vie religieuse bien remplie » se rappelle Sr Liane. Enseignante à l’élémentaire, elle avait œuvré dans quatre endroits en Ontario : Field, Dubreuilville, Timmins et Scarborough. « Je me souviens d’avoir travaillé jusqu’à la dernière minute avant de plonger dans cette nouvelle aventure sans grands préparatifs. »
C’est en réponse à une demande des Pères montfortains installés aux Philippines au milieu des années 1980 que les autorités des Filles de la Sagesse au Canada, sous la tutelle du Conseil Général, envoient trois religieuses pour fonder une nouvelle mission. « À l’époque, nous n’avions pas d’apostolat défini. Nous étions appelées à propager la spiritualité montfortaine et à vivre avec les gens pour les soutenir. L’éveil vocationnel n’était pas une priorité même si deux aspirantes nous attendaient déjà. »
Aumônière dans une école paroissiale
Comme dans toutes les insertions missionnaires, les trois FDLS ont appris les rudiments du tagalog, langue d’usage aux Philippines. « J’ai réalisé que je n’avais pas vraiment le don des langues. Je pouvais malgré tout me débrouiller. » Heureusement pour elle, la majorité de la population philippine parle également l’anglais, notamment dans leurs communications sociales, administratives et éducationnelles.

Entre les cours de langue, Sr Liane a exploré la région pour en apprendre davantage sur les us et coutumes. « Le père montfortain Claude Sigouin a été très accueillant et gentil. Il nous a bien aidées dans notre installation et adaptation. » Puis, Sr Liane s’est vu confier la fonction d’aumônière dans une école paroissiale où elle a pu entrer davantage dans la culture et la vie des gens.
Elle acceptera un poste d’enseignante du français pour un an dans un collège situé à 1 h 15 de la maison. « La pollution est tellement élevée à Manille qu’il me fallait me laver les cheveux trois fois avant que l’eau soit claire. Cela indique bien jusqu’à quel point l’air que l’on respirait n’était pas sain », mentionne Sr Liane. Soulignons que les trajets s’effectuaient en véhicule ouvert connu sous le nom de « Jeepneys ».
Des découvertes…
Dans son exploration pour mieux cerner les besoins de la population Sr Liane visite une prison pour femmes avec une religieuse des Sœurs du Saint-Esprit. « Après une première visite avec elle, j’y suis retournée toute seule les fois suivantes. Après la messe dominicale, j’apportais les journaux de la semaine et je me rendais à pied à cet établissement pour rencontrer les femmes emprisonnées en attente de leur sentence. » Ce nouvel apostolat la plonge dans une réalité hors du commun.
Ces femmes peuvent attendre jusqu’à 13 à 15 ans le prononcé de leur sentence pour être ensuite dirigées vers un autre établissement pénitentiaire. C’est d’ailleurs de cette façon que Sr Liane a commencé ses visites à ce deuxième établissement carcéral où les femmes purgent leur peine parfois jusqu’à leur mort.
Le contact avec ces détenues et leurs conditions de vie misérables a rapidement informé et transformé sa perception. « Lorsque je marchais pour retourner à la maison après ma visite des détenues, je réfléchissais sur la vie, la liberté, en me disant que ces femmes vivaient vraiment en communauté, les unes sur les autres, sans grands moyens… Et moi? »
Ces réflexions au fil du temps ont nourri sa vision et consolidé sa manière de vivre. « C’est pour moi difficile de critiquer mes conditions de vie après avoir vu tout ce que ces femmes coupables et non coupables endurent. »
Plonger dans l’univers carcéral philippin
De nature discrète et pondérée, Sr Liane n’a jamais cherché à questionner les détenues rencontrées. Toutefois, celles-ci n’ont pas tardé à se confier à elle lors de ses visites et des groupes de partage. À cœur ouvert, elles lui ont raconté leur histoire. Elle a pu prendre toute la mesure de l’injustice subie pour un grand nombre d’entre elles.
Au cours de ces 32 années de partage avec les détenues, Sr Liane reste profondément touchée par les actes d’injustice sous le régime (2016-2022) du président Rodrigo Duterte*.
Comme de nombreux témoignages l’ont mentionné, cette vaste opération s’est effectuée avec la complicité de la police qui recevait une augmentation de salaire pour chaque personne abattue. Les autorités ont déclaré 7000 décès alors que des organismes indépendants signalent plutôt 33 000 morts. « C’est incroyable tout ce qui s’est passé et combien de personnes innocentes ont perdu la vie. »
Impossible de ne pas croire aux coups montés et aux emprisonnements arbitraires lorsque les victimes en parlent ouvertement. L’histoire de cette femme arrêtée par la police pour avoir acheté des cachets afin de l’aider à rester réveillée pour effectuer son deuxième boulot en soirée constitue l’un de ces exemples.
Sr Liane ne peut faire abstraction de la vulnérabilité de ces femmes. Privées de leur liberté sans autre forme d’appel pendant des années en attente d’un verdict, elles perdent en même temps contact avec leur famille.
Améliorer le sort des détenues
Outre ces visites aux détenues dans les deux établissements, Sr Liane a géré pendant plusieurs années une subvention annuelle d’environ 7000 $ offerte par une fondation américaine (Cross Catholic Outreach). Avec cette somme, elle a payé les coûts de médicaments et de tests médicaux comme les radiographies. Elle a aussi acheté des produits personnels (shampooing, dentifrice…) et des ventilateurs. Dans un pays où la chaleur extrême s’intensifie, cet article n’est pas un luxe.
La surpopulation des établissements pénitentiaires est tout aussi surréaliste. Dans un dortoir dont la capacité est de 85 lits, on y a entassé quelque 1300 personnes. « Il faut le voir pour le croire, c’est inimaginable, et pourtant bien réel », confie Sr Liane.
Avec l’aide de Caritas et d’autres regroupements, la missionnaire a contribué à améliorer le sort des détenues en attente de sentences. C’est ainsi que l’on a déplacé l’unité de ces détenues située au deuxième étage d’une prison de 1200 hommes, dans un autre bâtiment. Puis, les pressions exercées ont favorisé la construction d’un second édifice à proximité pour offrir des facilités comme des salles d’activités et un petit lit pour chacune.

Une vie bien remplie
En parallèle à ce ministère auprès des femmes détenues, Sr Liane a assumé la responsabilité de formatrice des postulantes pendant 16 ans. Elle a pris la responsabilité de la trésorerie puis celle de la Région des FDLS aux Philippines pendant 16 ans, soit jusqu’en 2018, au moment où l’on a créé la Délégation Asie-Océanie. Elle a donné des récollections, des retraites, des conférences, de l’accompagnement, des cours de français et a organisé plusieurs activités humanitaires chaque fois qu`elle pouvait ajouter une autre activité à son horaire chargé.
À 75 ans, Sr Liane a pris une décision difficile. « C’est un moment déchirant. Mon cœur est là-bas, mais je ne voulais pas attendre d’être malade et d’être un fardeau pour les autres. » Elle est revenue au Canada en mai 2023, sans tambour ni trompette en paix avec elle-même. « J’ai pu accomplir ce que j’ai pu tout simplement. »
Sr Liane Rainville est la dernière religieuse occidentale FDLS à avoir œuvré aux Philippines où l’on retrouve encore sept sœurs natives du pays. Elle est aussi la dernière missionnaire FDLS du Canada à revenir au port d’attache de la communauté à Ottawa. Aujourd’hui, elle rend plusieurs services au sein de Maison Accueil-Sagesse où réside la majorité des sœurs canadiennes.