Comment parler de la vie d’une personne qui prépare sa mort depuis sa tendre enfance? Bénigna Lord est née le 18 juillet 1932 à Saint-Damase des Aulnaies, QC. La mort de son père, Benoît Lord, agriculteur, est survenue 3 jours après la naissance de Bénigna. Il avait 32 ans, laissant Claire Dubé, sa veuve de 28 ans avec quatre enfants, l’aîné 6 ans et la dernière, Bénigna. Le papa avait dit avant de mourir, « Elle sera religieuse. » La vie familiale étant marquée par la mort prématurée d’êtres chers, la petite a passé sa vie sans être bouleversée par la pensée de la mort.
En effet, Bénigna était consciente d’avoir deux papas à rencontrer avec la mort, celui du ciel et celui de la terre. Durant son enfance, elle questionnait sa mère, « Il était comment mon papa? Pour elle, il était beau et parfait et il lui pressait de le voir! Sa mère disait, “La mort, c’est un rideau qui tombe.”
… Lui-même prend soin de vous… (1 Pierre 5, 7, 10)
Bénigna grandit avec ses frères à la ferme paternelle où les tâches ont été vite prises en charge par chaque enfant selon ses capacités. D’où le sens de responsabilité développé très jeune chez elle par la force des choses. Encore petite, les responsabilités étaient entreprises comme un jeu. L’éveil spirituel ayant débuté très tôt, Bénigna raconte un 1er appel à être religieuse à l’âge de cinq ans. À sa profession de foi à 11 ans, elle vit un mois intensif de préparation dans un couvent. En 1946, un prêtre l’interpelle en lui suggérant de ne pas hésiter à tout donner au Seigneur. Peut-on être surprise qu’elle soit entrée au postulat en août 1947 alors qu’elle avait à peine 15 ans et qu’elle fait profession à Ottawa en 1949.
“Je suis tout à toi Jésus, ta grâce m’a prévenue.”
Aisément détachée de sa famille et de tout, voulant ce que Dieu veut en tout, aucune surprise de la voir accepter certains engagements inusités et stimulants. Un court temps de préparation et la voilà enseignante à Montréal, écoles Joubert, Gédéon Ouimet et Louise Trichet. Attentive aux élèves, elle les écoute et rayonne la joie de vivre. Finalement, elle reçoit une formation à l’Institut Pédagogique et continue dans l’enseignement jusqu’à devenir professeure à l’École Normale, tout en assumant parfois des responsabilités de gouvernance dans certaines communautés où elle habite. Son oui initial au Seigneur n’ayant pas de bornes, c’est à Madagascar qu’en 1966 elle est envoyée par son “Seigneur universel”.
“… dans vos rapports mutuels, nouez le tablier des humbles…
Le tablier de service de Sr Bénigna se déploie et s’ouvre avec simplicité, compassion, foi profonde et amour sans compter. Son option pour Dieu Seul est un chemin droit et sans faille. À Madagascar, elle est affectée à différents postes, dont directrice d’école. Elle prend même un rôle clé dans la direction de la jeune province en tant que Provinciale. Après un congé missionnaire et des études au Canada en 1974, elle retourne à Madagascar jusqu’au retour définitif en 1981. Tout bouge vite, mais elle ne diverge jamais de son orientation profonde de service gratuit orienté dans le don complet de soi. C’est ‘la présence de la Sagesse toujours en mouvement en moi.’
… dans toutes vos préoccupations, déchargez-vous sur Lui…
En 1984, ses engagements au vif de l’action se poursuivent avec une obédience à la communauté de Sept-Îles pour la pastorale, les visites aux familles et l’enseignement. Un permis de séjour lui permet d’habiter l’ile d’Anticosti pour les mêmes activités, favorisant une proximité avec ces iliens éloignés. Finalement, après des services divers à Drummondville, et aide à sa mère, elle rentre à Montréal en 1994, à Kent d’abord, puis prend une année d’étude en gérontologie à l’Université de Montréal. Cette formation lui sera utile pour le service qu’elle exercera comme Supérieure locale à la Résidence de la rue Salaberry jusqu’en 2014. Sr Bénigna y sert dans l’oubli d’elle-même et dans l’attention aux besoins des autres. Finalement, elle arrive comme reposante au Pavillon Accueil à Ottawa, puis en 2018, dû à la condition de son cœur, au Pavillon Notre-Dame.
… Dieu, dans le Christ vous a appelé à sa gloire éternelle…
Un de ses deux frères morts de cancer en 1995, lui avait dit, ‘Petite sœur, je vais rencontrer notre père, il m’attend.’ Ce souhait résonnait dans son cœur. Elle dira, ‘Toute ma vie a été orientée sur Dieu, d’où mon impatience à le voir.’ Elle s’est endormie doucement, heureuse d’aller à la rencontre de ses deux pères tant désirés, son père de la terre et celui du ciel.
Lise LeRiche, fdls