J’ai mes printemps remplis d’espérance…
Bouffées de vie qui pousse mon courage*
Marthe Jutras est née à Nicolet QC le 30 octobre 1921. Elle était « l’enfant du milieu » d’une famille de cinq : deux sœurs, elle-même, un frère (futur dominicain) et une sœur cadette. Son père, sa mère, ses grands-parents, ses ancêtres sont tous des Québécois d’origine française, avec un petit mélange amérindien et un soupçon d’irlandais. Wilbrod, son père, et sa mère, Brigitte Beauchemin, étaient tous les deux d’une famille de fermiers, paisibles, laborieux, courageux doublés d’une foi profonde. Son grand-père Beauchemin fut, vers l’âge de 20 ans, zouave pontifical… Son nom est inscrit dans la cathédrale Saint-Jacques, à Montréal.
Son père d’abord fermier, vendit sa pauvre petite ferme après la guerre et devint menuisier dans la ville de Nicolet, alors que Marthe avait huit ans. Sa mère, institutrice, devint une habile et renommée couturière et pendant de nombreuses années, elle apportait sa part à l’humble budget familial surtout durant la crise économique des années’ 30. Ses deux parents, dans leur métier, étaient d’habiles et talentueux artisans. Le papa fabriquait des jouets, alors que la maman faisait des poupées, les habillait « à la dernière mode », ce qui rendait les filles très fières et heureuses. Belle pédagogie que celle d’apprendre à ses enfants à se contenter de peu et à y trouver le bonheur.
Marthe a pris le chemin de l’école vers l’âge de cinq ans, à l’école du rang, dit « rang du Petit Saint-Esprit » (à Nicolet). Rentrée en ville, elle a fait toutes ses études primaires et secondaires, chez les Sœurs de l’Assomption de la Sainte-Vierge. Elle aimait beaucoup l’étude et réussissait très bien. Elle a suivi aussi des cours en art décoratif durant plus de trois ans à quelques heures par semaine. Ces cours lui ont été très précieux et les bonnes notions reçues ont plané dans sa tête et au-dessus de ses crayons toute sa vie. En somme, Marthe a vécu une enfance et une adolescence très heureuses, où elle a appris la valeur du travail, du dévouement, de l’ingéniosité, et même de la fantaisie. Chez elle, on savait rire, rire aux larmes, se déguiser, se jouer des tours dira-t-elle…
Très jeune, Marthe a ressenti l’appel à la vie religieuse. C’était son grand secret entre le Seigneur et elle. Elle aimait la prière et cherchait des livres afin d’apprendre à méditer, faire oraison.
J’ai mes étés remplis de soleil…
Rayons dorés qui réchauffent mon cœur
À mesure qu’elle vieillissait, son désir de se donner au Seigneur dans la vie religieuse mûrissait de plus en plus. Mais où et comment y arriver. Attirée par la vie contemplative, elle entre, à 19 ans, chez les moniales du Précieux Sang à Nicolet. Mais là n’est pas sa voie. Le Père Guindon, smm lui parle de son projet de fondation d’Institut séculier à orientation apostolique mariale. Marthe s’y engage de tout son cœur et devient même responsable générale. Les années passent et les épreuves s’accumulent. Après sept ans, la « petite entreprise » est dissoute. C’est alors qu’après quelques mois de repos Marthe frappe à la porte de la Sagesse qui lui ouvre pour l’accueillir à bras ouverts. Le 31 janvier 1951, la voilà au Postulat pour recommencer encore un temps de probation et le 2 août 1953 elle fait profession, heureuse et contente d’être devenue Fille de la Sagesse.
Ce qu’elle appellera son vrai chemin Sagesse commence après sa profession. Elle recevait son obédience pour l’Hôpital Montfort qui ouvrait ses portes en octobre suivant. Elle y est demeurée cinq ans au bureau d’admission. Elle avait affaire à toutes les sœurs de la communauté, mais travaillait tout spécialement avec les sœurs du bureau des affaires, un beau groupe de jeunes sœurs avec lesquelles elle était restée en amitié. En 1958, elle partait pour le Second noviciat à la Maison-Mère. Belle expérience s’il en fut une. De retour, la Provinciale du temps lui donnait son obédience pour la communauté du Noviciat. Elle y est demeurée huit ans, comme 3e maîtresse du postulat (6 ans) puis 2e du juniorat (1 an) et 1re maîtresse du postulat (1 an). Elle a beaucoup aimé ce temps avec les débutantes dans la vie religieuse qui appréciaient sa compréhension, son empathie et son humour. Plus d’une avoue avoir « été sauvée » par Marthe.
J’ai mes automnes remplis d’abondance…
Riches moissons qui débordent de mes bras
Au mois d’août 1967, la Provinciale, Sr Noémie, lui offre d’aller étudier en sciences religieuses à Paris. Il faut faire vite, car les cours commencent fin septembre au Studium Notre-Dame. Ces deux années de séjour en France furent pour elle des années de grâce exceptionnelles. L’éloignement, le contact « international » et culturel, la liberté qu’elle pouvait prendre au rythme de ses besoins, la confiance que lui donnait sa provinciale au Canada lui donnaient des ailes. Tout contribuait à l’épanouir. Elle s’est vite taillé une place dans ce nouveau milieu. Les longues vacances lui ont permis de voyager, d’aller à la Maison-Mère, de suivre des sessions en sciences humaines, avec le Dr Chauchard et la méthode Vittoz, avec l’abbé Rochais et le PRH, de vraies mines d’or, « ces petites sagesses du corps » dont elle a profité et qu’elle a partagées ensuite. Elle a fait de beaux voyages en dehors de la France : Belgique, Angleterre, Suisse, Rome… Elle a même terminé ce séjour de deux ans, en faisant un « 30 jours » avec le célèbre P. Jean Laplace, s.j.
Rentrée au Canada fin août 1969, Marthe recevait son obédience pour Sturgeon Falls, comme responsable de la communauté d’une quinzaine de sœurs du pensionnat qui venait de fermer. Elle a géré la fermeture de cette maison et ouvert une petite communauté de quatre sœurs au Lac-Trois-Milles à Sturgeon Falls en 1973. Elle a travaillé à l’Hôpital Brébeuf comme secrétaire de l’administratrice durant trois ans, puis à l’École Saint-Joseph, secrétaire de la directrice, durant 15 ans. Ces années de travail à l’extérieur comme celles de la retraite à compter de 1987 furent des plus productives pour Marthe, l’écrivaine et l’artiste. Elle a réalisé des œuvres d’art et d’écriture pour la Congrégation (on pense entre autres, à ses litanies de famille).
Sa renommée s’est vite répandue dans la région et son carnet de commandes était toujours bien garni. Elle a composé les textes de trois mégaspectacles pour l’École secondaire Franco-Cité, des adresses et cartes pour diverses fêtes, etc. Sa créativité était toujours en service. Et, durant 33 ans, elle a été co-responsable du bulletin qui a favorisé la communication et l’union d’est en ouest de notre pays, Marthe était à la fois Marthe et Marie. Au lac Trois Milles et à compter de 2005, au 160, rue Collège à Ottawa, Marthe s’est révélé femme de maison, hôtesse attentionnée, jardinière inventive, toujours de bonne humeur, et d’une disponibilité légendaire, mais aussi une femme d’intériorité, d’harmonie, de prière. La paix émanait de Marthe.
J’ai mes hivers remplis de blancheur…
Silence et douceur qui embellissent mes rêves
À l’été 2014, Marthe subit un accroc de santé et séjourne au pavillon Notre-Dame. Ce qui devait n’être que temporaire s’est avéré permanent. Mais comme elle fait feu de tout bois, elle s’est vite adaptée à sa nouvelle condition remplissant ses journées d’une variété d’activités : prière, lecture, écriture, croquis à l’aveugle, cueillette de pensées (Anselm Grün était son préféré). Elle a lu beaucoup sur la mort et l’au-delà retenant des pensées qui lui procurait une paix intérieure. Son amour de la nature était favorisé par la vue que lui procurait sa chambre donnant sur le jardin. Marthe pratiquait l’ascèse du moment présent. Elle chantait intérieurement le « Rien que pour aujourd’hui » de la petite Thérèse ou répétait à tout moment « Je suis fort contente de l’état où Dieu veut que je sois » de Marie-Louise. Oui, Marthe a transformé ses dernières années sur terre en laissez-passer pour l’au-delà et en ce dimanche 21 août, 2022, vers 13 h 30, tout doucement, un dernier souffle et Marthe basculait dans l’éternité bienheureuse.
J’ai mes quatre saisons qui s’incrustent au calendrier de mes jours,
au calendrier de ma vie.
Sr Carmen Bussière, fdls